Leçons de grec de Han Kang
Si la neige est un silence qui descend du ciel, la pluie est peut-être de phrases interminables qui en tombent.
Des mots tombent sur les trottoirs, sur les terrasses des immeubles en béton, sur les flaques d’eau noires. Ils giclent.
Les mots de la langue maternelle enveloppés dans des gouttes de pluie noires.
Les traits tantôt ronds, tantôt droits, les points qui sont restés un bref moment.
Les virgules et les point d’interrogations qui se courbent.
Editions Le serpent à plumes
185 pages – 18€ – Août 2017
Traduction de Jeong Eun Jin et Jacques Batilliot
Quatrième de couverture :
Leçons de grec est le roman de la grâce retrouvée. Au cœur du livre, une femme et un homme. Elle a perdu sa voix, lui perd peu à peu la vue. Les blessures de ces personnages s’enracinent dans leur jeunesse et les ont coupés du monde.
À la faveur d’un incident, ils se rapprochent et, lentement, retrouvent le goût d’aller vers l’autre, le goût de communiquer. Plus loin que la résilience, une ode magnifique à la reconstruction des êtres par la plus célèbre des romancières coréennes, Han Kang.
Avis personnel :
J’étais curieuse de découvrir ce nouveau roman après avoir lu et apprécié La végétarienne il y a deux ans. Tout comme ce dernier, la couverture est très attirante : des fleurs de lotus sont représentées sur un fond rouge, et celle-ci s’explique lors de la lecture tout comme le titre.
Deux personnages sont au cœur du roman et les chapitres alternent les points de vue. Une femme a perdu l’usage de la parole. Elle a vécu plusieurs événements traumatisants mais elle a toujours eu un rapport particulier avec le langage. Si elle prend des leçons de grec, c’est pour s’intéresser à la construction même du langage, à travers son alphabet inconnu et sa grammaire difficile, et peut-être retrouver le courage de parler. Tout comme elle a en premier découvert le hangeul (l’alphabet coréen).
Aimant beaucoup la linguistique et les langues étrangères notamment le coréen, j’ai beaucoup apprécié les questionnements et remarques de l’héroïne sur le hangeul et le langage en général. Quelques mots coréens parsèment le roman pour expliquer la pensée et le goût de l’héroïne mais ils sont traduits tout comme les phrases en grec (mes études de grec sont tellement lointaines que je ne reconnaissais que l’alphabet !).
À l’époque où elle pouvait parler, sa voix était basse.
Ce n’était pas un problème de cordes vocales, ni de capacité pulmonaire. Elle n’aimait pas s’approprier l’espace. Chacun peut occuper l’espace physique qui correspond exactement au volume de son corps, mais la voix, elle, se déploie beaucoup plus. Elle n’avait pas envie de déployer sa présence.
Un homme perd lentement la vue. Il pensait ne rien voir depuis longtemps mais contre toute attente les années sont passées sans qu’il la perde entièrement. Ce n’est tout de même qu’une question de temps. Il souhaite se débrouiller tout seul et il retourne en Corée du Sud alors que sa famille est restée en Allemagne. Il est passionné de grec et subvient à ses besoins en donnant des cours à quelques groupes d’élèves.
Ces deux personnages sont sans cesse plongés dans leur passé. La femme aimerait retrouver son enfant dont elle a perdu la garde tandis que l’homme pense à son amour perdu. Ils semblent toutefois résignés sur leur sort. Dans la plus grande partie du roman, ils se côtoient sans réellement se parler. La femme assiste aux cours et l’homme enseigne. Ce n’est qu’à la faveur d’un accident qu’ils vont se retrouver seuls ensemble et être amenés à partager leurs peines pour pouvoir se reconstruire.
Son enfant avait sept ans.
Un dimanche matin où, pour une fois, elle avait tout son temps, elle a discuté avec lui et a fini par lui proposer d’inventer des noms à l’indienne. Enchanté, il a pris pour lui le nom de « Forêt brillante » et l’a gratifiée d’un autre. D’un ton sans réplique, comme s’il s’agissait là d’une évidence :
« Tristesse de la neige qui tombe en abondance.
– Hein ?
– C’est ton nom, maman. »
Elle n’a pas su répondre, se contentant de fixer les yeux clairs du gosse.
Les chapitres sont généralement assez courts ; s’ils sont plus longs, ils sont séparés par différentes temporalités. L’écriture est très épurée et poétique, le langage et la littérature y ont une grande place. Le rythme est plutôt lent puisque la véritable rencontre entre les deux personnages intervient dans les derniers chapitres, au dernier tiers du livre. La dernière partie est un peu plus confuse, faisant écho au ressenti des personnages.
En résumé :
Une rencontre inattendue entre deux êtres perdus racontée d’une jolie plume.