En attendant Godot de Samuel Beckett
Les éditions de Minuit – 124 Pages
Août 2009 – 6,80 €
Quatrième de couverture :
Vous me demandez mes idées sur « En attendant Godot », dont vous me faites l’honneur de donner des extraits au Club d’essai, et en même temps mes idées sur le théâtre.
Je n’ai pas d’idées sur le théâtre. Je n’y connais rien. Je n’y vais pas. C’est admissible.
Ce qui l’est sans doute moins, c’est d’abord, dans ces conditions, d’écrire une pièce, et ensuite, l’ayant fait, de ne pas avoir d’idées sur elle non plus.
C’est malheureusement mon cas.
Il n’est pas donné à tous de pouvoir passer du monde qui s’ouvre sous la page à celui des profits et pertes, et retour, imperturbable, comme entre le turbin et le Café du Commerce.
Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention.
Je ne sais pas dans quel esprit je l’ai écrite.
Je ne sais pas plus sur les personnages que ce qu’ils disent, ce qu’ils font et ce qui leur arrive. De leur aspect j’ai dû indiquer le peu que j’ai pu entrevoir. Les chapeaux melon par exemple.
Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s’il existe. Et je ne sais pas s’ils y croient ou non, les deux qui l’attendent.
Les deux autres qui passent vers la fin de chacun des deux actes, ça doit être pour rompre la monotonie.
Tout ce que j’ai pu savoir, je l’ai montré. Ce n’est pas beaucoup. Mais ça me suffit, et largement. Je dirai même que je me serais contenté de moins.
Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les esquimaux, je suis incapable d’en voir l’intérêt. Mais ce doit être possible.
Je n’y suis plus et je n’y serai plus jamais. Estragon, Vladimir, Pozzo, Lucky, leur temps et leur espace, je n’ai pu les connaître un peu que très loin du besoin de comprendre. Ils vous doivent des comptes peut-être. Qu’ils se débrouillent. Sans moi. Eux et moi nous sommes quittes.
Samuel Beckett, Lettre à Michel Polac, janvier 1952
L’auteur :
Samuel Beckett, né le 13 avril 1906 à Dublin et mort le 22 décembre 1989 à Paris est un écrivain, poète et dramaturge irlandais. Il a reçu le Prix Nobel en littéraire en 1969 pour « son œuvre, qui à travers un renouvellement des formes du roman et du théâtre, prend toute son élévation dans la destitution de l’homme moderne ». Son œuvre est austère et minimaliste, ce qui est généralement interprété comme l’expression d’un profond pessimisme face à la condition humaine.
Plus d’informations sur Wikipédia.
Avis personnel :
Cette pièce en deux actes appartient au théâtre de l’absurde. Vladimir et Estragon sont deux personnages qui discutent pour faire passer le temps en attendant Godot. Leurs dialogues sont parfois vides, ils ne s’écoutent pas l’un et l’autre. Ainsi, l’un pose une question et l’autre revient sur un sujet précédent. Le premier répète sa question plusieurs fois sans pour autant que l’autre n’y réponde de suite. Deux autres personnages font leur apparition et rompent la monotonie du dialogue incessant et absurde de Vladimir et Estragon. Ce nouveau couple est encore plus particulier que le précédent. Pozzo est un homme qui se croit supérieur à tous les autres et qui traite son compagnon Lucky comme un esclave. Ce dernier n’a de chanceux que le nom, n’existant que pour obéir aux ordres de son maître. Le lecteur se demande ce qui les lie mais aucune réponse ne sera apportée. Un temps Vladimir se révolte du comportement de Pozzo envers Lucky mais aucun dialogue ne sera réellement engagé. Lucky est considéré à la fois comme un homme à tout faire, portant les affaires de Pozzo, ainsi que comme un animal de foire. En effet, il danse et parle lorsque Pozzo le lui ordonne. Son monologue est long, difficilement compréhensible avec des mots qui se répètent, d’autres qui disparaissent, des retours en arrière et surtout aucune ponctuation.
Le rapport à la temporalité est très étrange. Les personnages ne se souviennent jamais des mêmes choses. Et entre les deux actes, une seule nuit a passé d’après Vladimir mais de nombreux détails nous montrent le contraire. Par exemple, l’arbre dans le premier acte ne porte aucune feuille alors qu’il en est couvert dans le deuxième acte. Le fait le plus troublant est ce qui arrive à Pozzo et Lucky. Dans le deuxième acte, le premier est devenu aveugle tandis que l’autre est muet. Difficile à croire en une seule nuit. Et que dire du garçon qui réapparaît à la fin du deuxième acte pour leur annoncer que Godot ne viendra que le lendemain. Il certifie n’être jamais venu la veille annoncer la même chose…
L’auteur joue aussi avec le langage. Les dialogues se ressemblent tout au long de la pièce et de nombreux échanges sont inutiles. Entre répétition et paroles absurdes, de nombreuses scènes comiques prennent place. Par ailleurs, il y a une abondance de didascalies. La moindre gestuelle est précisée tout comme les intonations des différents personnages.
Il est difficile de saisir un sens à cette pièce de théâtre. Samuel Beckett n’explique jamais ses pièces, comme on peut d’ailleurs le remarquer avec sa lettre de la quatrième de couverture. Pourtant, on prend un réel plaisir à lire à cette pièce et les représentations doivent être remarquables. A la fin, le lecteur ne sait pas qui est ce Godot à part qu’il est censé apportait un changement. Mais à quoi ? Que s’est-il passé ? Le lecteur reste perplexe quant à tous ces personnages et leur situation.
Liens : La pièce sur Wikipédia – Samuel Beckett sur les éditions de Minuit.